vendredi 15 mai 2009

que se passe-t-il au RAC ?

Je vous propose des temoignages de Nelly, volontaire à la fondation Virlanie depuis plusieurs annees. Elle travaille quotidiennement depuis plus d'un an au RAC

Le respect des droits de l’Homme et de tout Homme…
Que penser de Rudy, ce jeune adulte de 22 ans, lourdement handicapé qui se fait fréquemment frapper par les bénéficiaires du RAC ? Oui, c’est une proie facile, un individu plus vulnérable qui ne peut se défendre seul. Son corps est fragile et chaque pas « bancal » sollicite un effort de sa part. Il marche avec d’énormes difficultés et son langage est souvent incompréhensible. Mais de toute manière, qui l’écoute au RAC ?
Rudy est bien vivant mais si peu de gens le regardent sauf hélas, pour s’acharner sur lui… Son corps porte la trace des violences qu’il subit gratuitement. Mais Rudy encaisse et se contente de sourire. Sourire certes édenté mais sourire tellement affectueux ! Tous les jours, après les soins matinaux, je l’encourage à faire quelques exercices et à marcher pour que son corps ne s’atrophie pas. C’est aussi une manière de créer un lien ; d’aller à sa rencontre ; de lui sourire et de lui porter une attention particulière. Rudy est un jeune homme sympathique qui a besoin d’être stimulé. Il vit au RAC depuis l’année dernière. A son arrivée, il était obèse mais après plusieurs mois de présence en ces lieux, il a perdu considérablement du poids et son moral s’est fortement dégradé. Victime d’un système qui l’incarcère et qui le violente, il est de plus en plus déprimé. Il s’isole et refuse de communiquer avec les autres bénéficiaires. Seuls les volontaires et l’équipe médicale veillent sur lui. Ayant besoin d’être assisté pour se doucher et pour se rendre aux toilettes, il est détesté par les bénéficiaires contraints parfois de lui procurer des soins intimes (en notre absence). Il se fait traiter de gros porc et de feignant, alors on le fouette et on le cogne. Pourquoi tant de violences ? J’ai souvent des révoltes intérieures que j’essaye de maîtriser car rien ne peut se résoudre par la violence et la haine. Ces révoltes doivent seulement me servir à combattre le mal ; à ne pas rester insensible et à agir en faveur des plus défavorisés. Il faut apprendre à choisir ses combats et à rester attentif !

Mère Térésa a dit : « Moi non plus pour un million de dollars, je ne toucherai pas un lépreux, mais pour l’amour de Dieu, je peux le faire ». Et bien moi aussi je peux le faire, humble volontaire qui n’atteindra jamais la cheville de Mère Térésa ! Au RAC, on croise rarement des lépreux mais surtout des tuberculeux osseux, très contagieux, au stade sévère.

Oui, sincèrement, je laisse couler mes larmes. Oui, cela me chagrine et me bouscule de l’intérieur. Oui, j’ai mal quand j’assiste toutes ces personnes en fin de vie... Mais qu’il est important d’être près des mourants, de leur tenir la main quand tout autour, le monde s’agite et semble oublier la déchéance humaine. J’apprends tout simplement ce que signifie mourir et c’est pour moi, une leçon de vie ! Des minutes précieuses se sont écoulées à leurs côtés - comme suspendues dans le temps... Désormais, vous avez rejoint un autre Monde mais je veille à ne pas vous oublier. Pour la dignité des hommes et des femmes en souffrance qui ont croisés mon chemin, je témoignerai. Car les gens ne meurent jamais vraiment tant qu’ils demeurent dans nos cœurs et nos pensées : Camba (45 ans), Sebaste (80 ans), Gina (47 ans), Modesco (55 ans), Anabel Acapy (18 ans), Laono (35 ans), Angy (50 ans), Jessie (32 ans), Gina N. (50 ans), Mary-Jane (27 ans), Romio (63 ans), Alberto (60 ans)…

Apprendre à donner, c’est aussi apprendre à recevoir !

On prononce souvent ces paroles : « apprendre à aimer » ou « apprendre à donner sans rien attendre en retour ». Ce n’est pas toujours une quête facile ou évidente pour le commun des mortels. Donner, c’est aussi « accepter de partager ». Pour certains d’entre nous, c’est un geste naturel d’amour et d’échange. Hélas, pour d’autres personnes, c’est un gros effort à fournir. Mais la générosité dans le don de soi-même ou dans le don de nourriture, de biens ou d’argent ne s’arrête pas là. Pour moi, la générosité, c’est aussi accepter de recevoir et je l’apprends chaque jour par l’exemple :
- Au RAC, la maman de Cherry Mae (6 mois) a voulu me remercier car je lui ai donné du savon et des vêtements pour son enfant. En plus de son joli sourire et des multiples « merci », elle m’a offert un médaillon (petit cœur). J’ai pensé intérieurement que je ne pouvais pas accepter ce bijou qui demeure le sien - elle qui possède si peu de choses et qui vit pauvrement dans la rue. Mais, très vite, j’ai compris le bonheur que cela lui procurait, à son tour, de pouvoir m’offrir quelque chose. J’ai accepté son cadeau et nous étions toutes les deux heureuses.

En travaillant trois ans auprès des chiffonniers de la décharge publique de Payatas, j’ai souvent vécu des moments inoubliables. Noël 2003, Ate Cristy m’offre l’unique cadeau qu’elle vient tout juste de recevoir. Elle aurait pu le garder mais elle a souhaité me l’offrir par amitié. Elle était si fière de pouvoir, elle aussi, donner quelque chose. J’ai accepté de bon cœur, ce petit objet décoratif, a priori sans aucune valeur. A mes yeux, il a de la valeur et je le garde comme un objet précieux, en symbole de ce moment généreux que nous avons partagé.
Donner procure de la joie et du plaisir ! Refuser de recevoir, c’est PRIVER autrui de partager ce plaisir. Apprenons tous à donner mais aussi à recevoir pour que le mot magique : « partage » n’ait pas une connotation unilatérale mais, plutôt qu’il prenne toute sa dimension dans tous les gestes simples de la vie.


Please ! Un peu de douceur dans ce monde de brutes …

Comment pourrais-je effacer de ma mémoire toutes ces images violentes - comme celle de la pauvre Christina (30 ans) ligotée sauvagement au RAC ? Quel est le degré maximum de méchanceté qu’un individu peut atteindre ? Quel diable les a envoûté pour attacher cette femme de façon si cruelle ? Descriptif : une corde serrée à un 1er poteau, tendue vers un élastique fixé à un second poteau, puis deux vulgaires soutiens-gorge dégoûtants, ligotés pour retenir un lacet coupant entouré brutalement autour des poignets de Christina. A-t-on omis de me dire que l’on tournait un film d’horreur au RAC ? Où suis-je bien en face d’une réalité choquante et humiliante. Où s’arrête la bêtise humaine ? J’ai détaché Christina avec beaucoup de difficulté. Auparavant, la malheureuse a bien essayé de s’échapper elle-même. En vain… Plus elle a lutté et plus elle s’est meurtrie les poignets. Cette vision me fait penser à celle d’un «chien méchant attaché à une corde». Mais Christina n’est pas un chien et elle n’est pas méchante. Elle a tourné sans cesse autour des poteaux, jusqu’à en perdre ses vêtements. Elle s’est retrouvée dénudée, la poitrine à l’air et la jupe relevée sans aucun moyen de se couvrir le corps. Et je n’ose imaginer pendant combien d’heures elle a souffert - avant que je ne la délivre de ce calvaire. Christina est une personne malade mentale. Elle n’est nullement agressive mais sans doute « dérangeante » car elle parle tout le temps et elle bouge beaucoup. Mais rien au Monde ne peut justifier un tel acharnement à l’égard d’un être humain. Il faut s’en doute être plus « malade que le malade mental » lui-même pour agir ainsi ! Et bien voilà, comment sont traités les malades mentaux et certaines personnes handicapées au RAC. Ce soir, pour évacuer mon chagrin, je ne trouve rien de mieux que de fredonner les paroles de la chanson de Michel BERGER (auteur français) :

« Chut ! Pose doucement un doigt devant ta bouche. Lutte…
Efface de notre histoire ces mots qui nous touchent.
Brutes, ces images qui nous plongent dans la solitude… »

J’ai effectivement posé doucement un doigt devant ma bouche ou plutôt la main entière pour ne pas hurler sur place. J’ai aussi lutté pour retenir mes larmes afin d’avoir plus de forces pour détacher Christina, sans la blesser davantage. Mais, je refuse d’effacer de notre histoire ces actes de torture car il faut que les gens sachent…. Il n’y a pas que dans les pays en guerre, que des actes de violence sont quotidiennement commis. Je ne dirai pas Chut devant ces images brutes ! Désormais, je suis témoin et je condamne ces atrocités qui sont contraires à la dignité humaine et au respect des droits de l’Homme. Certes la chanson apaise mon cœur ce soir, mais dès demain matin, je retourne au RAC. Je sais hélas que je vais encore voir de bien vilaines images...

Nelly (Volontaire - coordinatrice de la fondation virlanie au RAC)

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